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Le culte des saints musulmans et la règle du silence

  • EaN
  • 22 janv.
  • 3 min de lecture

En Islam, il est des faits et des représentations qu'on ne peut ni faire ni admettre. Tel est le cas de la personnification du prophète dans des rôles de représentation scénique ou l'acceptation que l'on puisse vouer un culte à quiconque en dehors de Dieu. C'est au questionnement de ce silence et ces ''interdits'' tacitement acceptés que s'attache le dernier ouvrage de Catherine Mayeur-Jaouen*.


Pèlerins autour de la station d’Abraham (La Mecque) © CC-BY 3.0/Moataz1997 WikiCommons in EaN


Dans Le culte des saints musulmans, l’historienne Catherine Mayeur-Jaouen s’attaque à « l’impossible histoire » des saints et des cultes qui leur sont rendus en islam. De ce sujet massif, et jusqu’ici massivement ignoré, l’autrice propose une synthèse anthropologique et historique, entre l’islam des doctrines et celui des pratiques. Une recherche décisive pour le champ d’étude islamologique.


Synthèse promise en 2000, attendue, différée, finalement reprise en 2011, Le culte des saints musulmans de Catherine Mayeur-Jaouen a vu enfin le jour en 2024.

Cette vingtaine d’années de gestation (c’est-à-dire d’enquêtes, de deuils et de rencontres) fut aussi celle des mutations du monde musulman, et du monde, en général : 11 septembre 2001, invasion américaine de l’Irak, crise économique mondiale, printemps arabes, pandémie. C’est d’ailleurs jusqu’à cette grande actualité que l’historienne étend le programme ambitieux son étude, sous-titrée Des débuts de l’islam à nos jours.


Au dire de l’autrice, rien (ou si peu) n’a encore été produit sur le sujet. Cet état des lieux, brutal, prend pourtant bel et bien en compte l’article fondateur (mais daté : 1880) d’Ignace Goldziher, les études du XXe et du XXIe siècle sur le soufisme, les rares monographies sur le pèlerinage ou le culte des ancêtres, qui n’abordent le sujet des saints qu’en marge, et de biais. L’histoire des saints musulmans demandait donc à être écrite, et avec elle que soient analysées les raisons du silence des spécialistes – islamologues, anthropologues, historiens.


L’étude historique et l’analyse historiographique iront ici de pair : d’abord, car il faut « assumer », comme le fait l’historienne, « une approche comparative », en appliquant à l’islam une notion chrétienne, celle de « culte ». S’il est vrai que nulle liturgie n’est à rechercher, s’il est vrai qu’un « walî » n’est pas un « saint » chrétien, que ni canonisation ni relique ne lui sont attachées (ou détachées), du moins Catherine Mayeur-Jaouen démontre que les pratiques dévotionnelles, les rituels, la visite des lieux saints, ont toujours existé en islam et prospèrent encore. L’exportation de la catégorie de « culte », féconde, est également polémique : elle rend visible, connue et accessible une « religiosité populaire », aux côtés et surtout dans l’ombre de l’islam des docteurs, des savants et des textes.


En dédoublant l’anthropologie historique, l’historiographie permet également de révéler l’orientation implicite des travaux menés jusqu’alors par les islamologues.

Catherine Mayeur-Jaouen montre que les discours des réformistes musulmans et des orientalistes occidentaux, contre toute attente, reconduisent par leur désintérêt le rejet wahhabo-salafiste du culte des saints hors de l’orthodoxie. Si pour les uns – les réformistes laïcistes –, le culte des saints est une forme de dévotion arriérée que la modernité doit dépasser, il est, aux yeux des orientalistes imprégnés de wébéro-durkheimisme, la survivance d’une âme païenne anté-islamique, syncrétique et régionale. Le désintérêt confine alors au conservatisme : en niant ou en « folklorisant » le culte des saints, ces approches postulent, sans l’expliciter (ni même, peut-être, complètement le savoir), un « islam véritable » essentiel, une fois défait de ses anomalies ou de ses impuretés. 


Comment alors écrire l’histoire des saints et de leur culte en islam ? Où et quand commence-t-elle ? À la question (redoutable) des « origines »,

Catherine Mayeur-Jaouen substitue celle du lieu, et aux sources hagiographiques l’analyse topographique. « D’abord lié aux morts, le culte a préexisté aux saints musulmans ». Ainsi le « saint » n’a-t-il pas d’acte de naissance, mais avant tout un monument au mort (stèle, coupole, mausolée). Et avant d’avoir leur saint, les lieux ont déjà leurs cultes, visites ou rituels. L’historienne souligne ici un point massivement négligé des études anthropologiques sur les rites islamiques : la sacralisation de lieux naturels (grotte, source, arbre).


Cette « topographie sacrée » raconte l’islamisation progressive des lieux par les recouvrements physiques, avant d’être symboliques, des cultes antérieurs (païens, hindous, juifs, chrétiens, zoroastriens), et la consolidation, entre le VIIe et le XIe siècle, des personnages et des pratiques sacrées qui leur sont dévolues. 


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(*) Catherine Mayeur-Jaouen | Le culte des saints musulmans. Des débuts de l’islam à nos jours. Gallimard, 624 pages.

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