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Les fils du récit

Pour résister à l’injonction de raconter, Olivia Rosenthal choisit de croiser plusieurs fils : l’histoire de Zoé, dont l’oncle « a les mains baladeuses » ; des vies de funambules et d’acrobates, toujours liées à la violence ; des fragments autobiographiques ; des passages relevant de l’essai ; et des réflexions métatextuelles sur le livre en train de se faire – le « making-of », comme l’indique la quatrième de couverture.


Olivia Rosenthal - Photo Francesca Mantovani
Olivia Rosenthal - Photo Francesca Mantovani

« Si on ne se trompe pas en écrivant ou si l’écriture ne déplace pas à mesure ce qu’on avait prévu d’écrire, c’est qu’on est devenu une machine. » C’est là le credo de l’auteure, et l’on ne s’étonnera guère alors de trouver des références à Diderot et à l’incipit de Jacques le Fataliste, mais aussi à Montaigne, qui suspend son jugement et modifie son livre unique durant toute sa vie. Olivia Rosenthal y insiste d’ailleurs :

Difficile d’écrire si on n’accepte pas de suivre plusieurs hypothèses, d’essayer plusieurs voies, de revenir en arrière, de se tromper, de rompre une bonne fois pour toutes avec l’idée que la chronologie est une affaire linéaire.
Rien de plus stérile qu’une droite.
Écrire, c’est accepter de passer son temps à se relire.
Suivre le fil en refusant les vieilles ficelles

L’auteure expose son projet dans le fragment 150 : J’ai donc décidé, par défi, de choisir ce thème, le fil, suivre le fil, le fil de la vie, de fil en aiguille, couper le fil, filer la métaphore, choisir la bonne filière, filer doux, filer à l’anglaise, donner du fil à retordre, marcher sur un fil, etc. etc. Il y a tellement d’expressions que je ne sais plus si le fil m’aide à avancer ou à fuir. Même si je suppose que parfois fuir et avancer, c’est la même chose.


Sujette au vertige, elle doit avancer pour ne pas tomber et ne pas entraîner avec elle son lecteur dans les abîmes du pathos. Elle évoque discrètement sa sœur aînée, qui aimait Le Baron perché d’Italo Calvino, dont le héros décide de vivre dans les arbres : ]e sais à quel point mes livres s’adressent justement à cette sœur-là désormais perdue et cela depuis fort longtemps, cette sœur qui, chaque fois que j’essaye de la chasser de mon paysage intérieur, se rappelle à moi sous des formes diverses. J’ai fini par accepter de ne plus la chasser même si je ne l’ai pas encore mise au centre d’un de mes livres et même si je persiste, pour celui que je suis en train d’écrire, à exiger de moi de ne plus en parler. Encore une erreur.


Il est également question de son père, ingénieur pour le fabricant de textiles Solfin, qui, étant daltonien, avait besoin de ses filles pour ne pas voir un brun unique dans les fils verts et rouges. Olivia Rosenthal refuse « l’efficacité » d’une certaine littérature qui ne sait pas faire leur place au trouble et aux détours, et qui va trop droit au but, c’est-à-dire au lecteur ciblé à qui il faut vendre des livres : « Pas de vérité absolue, seulement des tentatives, des ellipses, des blancs, des trous, des vides. À travers la fiction, on cherche moins des solutions que des questions et des hypothèses ».


Cette expérimentation littéraire est une réussite, car elle inclut le lecteur dans le travail de construction du sens, pour échapper à l’emprise. L’auteure s’intéresse beaucoup à la grammaire, notamment aux temps verbaux et aux aspects. C’est comme si elle explosait le récit « façon puzzle » et mettait toutes les pièces détachées à la disposition du lecteur pour qu’il puisse à son tour suivre son fil. Comme le dit un funambule dans l'un des entretiens : « Y a pas d’équilibre, y a que de la rattrape ».


NB : de texte a été publié iniialement sur Non Fiction sous le titre "Olivia Rosenthal dénoue et déjoue les fils du récit"

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